Qu'est ce qu'il m'arrive ?

Ipiu court. Elle court jusqu'à s'arracher les poumons. Elle court vite, évitant les arbres qui défilent à toute vitesse devant elle. Elle court pour oublier.. Elle court pour ne pas penser, pour se faire mal, pour éviter de faire une bêtise. Elle court. Des larmes coulent sur ses joues et s'envolent, happées par le vent. Elle court.. jusqu'à ce que son pied rencontre une racine, à moitié ensevelie sous les feuilles. Epuisée, vidée de toute son énergie et emportée par son élan, la jeune fille se laisse tomber brutalement au sol, après un long vol plané. Sa tête cogne un caillou et tout à coup, c'est le noir.

Ipiu se voit, plus jeune, dans une ruelle sombre, en plein milieu d'un village malsain. Elle s'en souvient, de ce village qui était maudit et très déconseillé d'approcher. Mais elle avait faim, et elle était jeune et inconsciente. Elle était entrée discrètement dans l'enceinte du village et s'était engagée dans une rue inconnue, qui était en fait une impasse. Là elle s'était fait coincé par trois garçons, qui l'avait racketté, brutalisé et violé. Elle s'était évanouie sous le choc. Quand elle s'est réveillée, elle n'était plus la même ; son visage était dur et vidé d'émotions, elle ne parlait plus à personne et ne permettait à quiconque de la toucher, son coeur étant emplit de haine et de vengeance. Terrée dans sa solitude, détruite de l'intérieur, elle avait érré dans la nature, espérant retrouver le peuple qui l'avait recueillie étant enfant et ne plus jamais partir. Mais son voeu ne se réalisa jamais, et après quelques semaines de recherches vaines elle avait rencontré un homme, dans les bois. Au début elle s'était méfié et avait tenté de le tuer mais il s'est défendu et a tout de suite compris qu'elle n'allait pas bien. Il l'a forcé à lui dire ce qu'elle avait sur le coeur et, à ce moment là, les deux jeunes gens ont liés une forte amitié. C'est grâce à lui qu'elle a pu revivre normalement. Elle a réapprit à aimer et à se défendre.

Ipiu gémit, ouvrit les yeux. Avisant une feuille morte sous son nez, elle grimaça et leva doucement la tête. Elle cligna des yeux et jeta un regard circulaire autour d'elle. Se rappelant où elle était, elle se traîna près d'un chêne et posa sa tête sur son tronc. Etouffant un râle, elle referma les yeux et soupira. Elle avait réussit à oublier ce souvenir douloureux... mais il avait ressurgit si brutalement dans sa tête ! Pourquoi ? Bouleversée, ne comprenant plus rien, elle avait envie de hurler. Il fallait qu'elle revoit son ami. Elle avait peur de ce qu'elle pourrait bien faire, si on la touchait de nouveau maintenant. Un frisson parcourut son corps et elle se rendit compte qu'elle avait peur d'elle-même. La jeune fille porta sa main sur son front et l'enleva. Du sang coulait sur sa paume. Oubliant sa rage et son désir de comprendre, elle s'inquiéta de son état, sentant tout d'un coup la vive douleur qui arrivait par ondes sur son front. Ipiu se sentit pâlir, s'immaginant se vider de son sang. Mais, déprimée et épuisée d'avoir tant courue, elle se laissa choir sur le sol humide et s'évanouit.

Vect rentrait d'une promenade en forêt, bien que promenade ne soit pas le terme approprié, il avait recherché encore et encore une créature bien particulière mais ses recherches n'avaient servies à rien. Il rentrait alors au château, assez fatigué il n'aperçut pas Ipiu partir en courant mais quand il arriva à la porte elle était déjà ouverte. Il se retourna alors, cherchant des traces de quelqu'un et il sentit l'aura de la jeune fille au loin, tremblante, troublée. Il n'attendit pas plus longtemps avant de s'élancer à sa poursuite, ce qu'il dut faire sans bandeau, avec ses yeux découverts, ce qui ne l'arrangeait pas, c'est qu'il n'avait rien de rassurant avec ces yeux là. Il courut donc le plus vite possible, évitant les branches et les racines, les feuilles fouettant son visage par moment. Finalement il arriva devant l'élue de l'ombre, allongée par terre sans avoir l'air d'avoir conscience de ce qui se passait autour d'elle. Il remarqua tout de suite la trace de sang sur sa tête, ce qui ne fit que l'inquiéter encore plus. Il s'accroupit à côté d'elle, la soulevant doucement du sol pour la redresser. Il examina un instant la blessure, elle n'avait pas l'air très profonde mais le sang continuait de couler. Il prit Ipiu par les épaules, la secouant un peu pour tenter de lui faire reprendre connaissance.

"Ipiu! Ipiu réveilles-toi!"

Il la tenait fermement d'une main pendant qu'il cherchait quelque chose dans ses poches.

Ipiu se sentait vraiment mal. Elle ne comprenait plus rien. L'instant d'avant elle planait dans les airs, virevoltant autour des étoiles. Elle avait tout oublié, son passé comme son présent et se dirigeait sans doute vers un futur nouveau. Mais maintenant, elle ne voyait que du noir et une pénible odeur de feuilles mortes s'infiltrait dans ses narines. Elle entendit soudain une voix, se rendant compte de la présence d'un jeune homme. Mais elle ne chercha pas à savoir qui c'était, elle avait déjà bien assez de mal à réaliser où elle se trouvait. Tout ce qu'elle voulait c'était qu'on la laisse voler vers le firmament, vers un endroit meilleur où elle n'aurait plus à se poser autant de questions...

Mais, alors qu'elle se concentrait pour resombrer dans l'inconscience, une main lui agrippa l'épaule et la secoua. C'est qu'il insistait, le bougre !
Avec un effort de volonté pour se débarrasser enfin du "parasite", la jeune fille ouvrit les yeux. Elle battit des paupières et aperçut une tête. Elle ne reconnut pas tout de suite son jeune professeur de musique. Curieuse, elle se demanda ce qu'il pouvait bien faire là, avec elle, dans ce qui semblait être une forêt. Faiblement, elle essaya de se dégager de l'étreinte du jeune homme pour se rallonger par terre, mais il la tenait trop fermement. Elle laissa alors échapper un râle, histoire d'attirer son attention. Elle se demandait pourquoi elle avait si mal à la tête...